[Mare Noire] Le Contrecoup

2e  jour de la 9e ennéade de Karfias ~ été
17e année du XIe Cycle
Milieu de la nuit
Quelque part en Ardamir

Lareless ,

Ta salive est désagréablement pâteuse. Ton crâne te fait aussi mal que si tu étais tombée tête la première au fond de la Fosse des Norns. Ton corps répond à peine à tes commandes. Chaque millimètre est un effort titanesque, soldé par des monts de douleur te traversant de part en part. Mais tu es vivante. Et elle aussi.
Tes yeux s’entrouvrent sur un spectacle d’elfes à la crinière de feu, vaquant chacun à leurs occupations… leurs occupations pour beaucoup consistant à la préparation d’onguents à base d’herbes, d’huiles, et de quelques gouttes d’une eau qu’ils semblent considérer avec le plus grand des respects. Le cataplasme brun, ta poitrine en est couverte, tout comme tes jambes  et ton cou. Et face à toi, à quelques mètres de distance, tu distingues le visage – toujours endormi – de celle dont ils renouvelaient le traitement.

Gingal.

Ici pas l’ombre d’une lance. Pas l’ombre d’un guerrier. Les Chants ne sont que parfaite harmonie et douces sérénades. Il en a toujours été ainsi des camps établis par les Mirtil’Di. Heureusement. Car tu ne distingues pas encore clairement les autres sons environnants. Les chants des batraciens, les oiseaux de nuits, les discussions des elfes à votre chevet, tout cela n’est qu’une impénétrable soupe de bruissements. Mais au moins tu es en vie. Tu es éveillée, et voyant cela, l’un des elfes présents se dirige vers toi, pour t’accompagner dans ce difficile moment.

- Ne t’inquiète pas pour elle. de la voix rendue difforme par ta presque surdité, tu ne comprends que le calme Elle vivra.

La poigne du jeune à la crinière flamboyante est aussi ferme que son timbre est apaisé, et voudrais-tu te débattre que le peu d’énergie que tu as ne te l’autoriserait pas. Il te force à nouveau sur le dos, et de tes bras ses paumes passent à ta poitrine. Le long de leur passage elles massent avec attention tes muscles endoloris, t’imposant en réalité en premier lieu plus de douleur que de soulagement, mais tu ne peux que pleurer pour chasser la peine. C’est ainsi, au prix de ton affliction, que le cataplasme est renouvelé, et c’est aux même prix que tes chairs sont sauvegardées.

- Gourde !

Boire, il te faut boire. Pour chasser la sang et la soif. Ton médecin le sait, et ce besoin il s’arrange pour le contenter. Ton dos est soutenu d’une main bienveillante, tandis qu’une autre porte la gourde à tes lèvres. L’eau coule doucement, mais elle coule tout de même plus vite que tu n’es capable de l’avaler, la simple déglutition te paraissant une immense corvée.

- Nous savons ce qui s’est passé. sans savoir si tu comprenais, le jeune soigneur décidait de t’accompagner en mots C’est une bien triste nouvelle, mais ce n’en est pas une qui nous étonne. Il est autant de druides qu’I Ëmel a de visages. Il était finalement inévitable que ce jour n’arrive jamais. il soupire Si seulement il avait pu arriver plus tard… Les miens ne sont pas des guerriers. Nous sommes des guérisseurs. Nous avons promis à la Prime Œuvre d’honorer le don qu’elle nous a fait, et de nous y consacrer. Nous ne serions pas partis avec la Druidesse-Kerkand. Pour autant, nous comprenions que le chemin pris par les Bask’Eret était un mal nécessaire.

Sur ces derniers mots, et ces derniers mots seulement, la voix chancèle. La mort n’est pas l’alliée des Mirtil’Di. Combattre la mort est leur mission. Ainsi ce genre de sacrifices leur aura toujours été malaisé… mais comment pouvaient-ils le voir d’un autre œil après avoir entendu les avertissements des hérauts de La Mère ?

- Mais maintenant, nous ne savons plus quoi penser. il déglutit Nous n’avons plus de héraut pour nous guider. La Mère aurait-elle volontairement ainsi opposé deux de ses aspects de manière à permettre la réalisation d’un destin contre lequel elle nous aura mis en garde ? il souffle, dans un rire nerveux Ou alors cherche-t-elle à nous éprouver, nous et notre capacité à marcher sans guide ? son rire s’intensifie un instant, avant qu’il ne revienne à son calme du départ Ou peut-être était-il présomptueux de notre part de penser que l’on pouvait se permettre d’amener la guerre à eux, quand il est toujours temps de s’ériger en barrière vivante entre les Taledhels et leurs murs de pierre et d’ainsi en garder l’artefact éloigné.